le 20/09/2024 à 11:53
En France, 46 % des hommes et 38 % des femmes admettent avoir déjà trompé leur partenaire, tandis que 22 %, tous sexes confondus, estiment qu'il est impossible de rester fidèle toute sa vie (1). Facilitée par l'usage des applis de rencontres et les réseaux sociaux, l'infidélité gagne du terrain, surtout parmi les femmes et les jeunes des catégories socioprofessionnelles élevées, lassés par la routine ou désireux d'en découdre avec les carcans moraux imposés par le patriarcat…
Double injonction
La fidélité, un concept devenu ringard ? Pas si l'on en croit les statistiques sur les divorces, dont la première cause reste l'infidélité2 . « C'est un sujet majeur chez les couples que je vois en thérapie, confirme Ginevra Uguccioni, neuropsychologue et auteure de Couple : la famille en héritage (Larousse). Je dirais même qu'elle concerne 80 % d'entre eux. » L'infidélité reste donc un problème, le couple « offciel » (marié) reposant toujours sur la notion d'exclusivité. « L'être humain est anatomiquement polygame, mais culturellement monogame, souligne le Dr Patrick Lemoine, psychiatre et docteur en neurosciences dans Et la fidélité, bordel ! (Albin Michel). Jusqu'au xxe siècle, les hommes imposaient la fidélité aux femmes pour garantir l'origine des gènes et la paix sociale. »
Un effort qui paie
De moins en moins vécu comme une contrainte morale, rester fidèle peut désormais être revendiqué comme un choix de vie. « A quoi bon être infidèle ?, s'interroge Stéphane, 53 ans, en couple depuis dix ans. Construire un lien fort dans la durée est plus enrichissant que de multiplier £les histoires. Même ma sexualité y gagne. Je me sens plus à l'aise avec ma femme qu'avec une inconnue de passage pour explorer des jeux érotiques. » Quant à Marie, 57 ans, elle fait preuve de pragmatisme. « Même si, depuis mon divorce, je ne crois plus à l'amour fou, l'idée de tromper mon conjoint m'est insupportable. Je ne veux pas le voir souffrir et lui imposer quelque chose que je n'accepterais pas de sa part. »
À chacun son « idéologie »
Sur le sujet, la neutralité est rarement de mise. « La fidélité est le fruit de nos croyances, de nos modèles familiaux, de nos expériences personnelles, observe Ginevra Uguccioni. Beaucoup d'enfants ont souffert des conséquences de l'infidélité. Sans porter de jugement moral sur le parent infidèle, ils ressentent la tristesse, la colère, voire la dépression de celui qui reste. Et deviennent souvent des adultes réfractaires à l'infidélité. » Notre rapport à l'exclusivité en dit long sur nous.
« Plus un individu a des ressources intérieures fortes, plus il est apte à surmonter ce séisme psycho-affectif qui entame toujours l'estime de soi et génère un sentiment de défaillance personnelle, explique la thérapeute de couple. A l'inverse, si la personne est fragilisée par des séparations ou des deuils, en butte à la peur de l'abandon, à la jalousie, l'infidélité lui apparaîtra redoutable, car indépassable. »
Un contrat et des avenants
Plus que le passage à l'acte, c'est la trahison et le mensonge qui font souffrir. « Comment a-t-il pu continuer à me faire l'amour alors qu'il en voyait une autre ?, s'interroge encore Elya, 36 ans, en couple depuis huit ans et mère d'une petite fille. Je ne pourrai plus jamais lui faire confiance. » « La fidélité n'est pas forcément synonyme d'exclusivité, mais de respect de la parole donnée, souligne le Dr Lemoine. Peu de couples abordent le rapport à la fidélité lors de leur rencontre, or il est capital d'être sur la même longueur d'onde avant de s'engager.
Il y a nécessité à revoir ce contrat régulièrement en y ajoutant, s'il le faut, des “avenants” ! » Lisa, 32 ans, en est convaincue : « Avec Mathieu, on a d'abord été un couple ouvert, mais quand je suis tombée enceinte, il y a un an, nous avons jugé bon pour nous et l'arrivée de notre bébé de nous concentrer sur le noyau dur “famille”. »
L'infidélité affective, un tabou ?
Peu importe au fond la formule choisie (exclusivité, couple libre, polyamour), si les deux conjoints sont consentants ! « Contrairement à l'animal, l'humain a pour spécificité d'être créatif, insiste Maïa Mazaurette, chroniqueuse au Monde, en couple libre depuis dix ans avec des enfants. Cela me soulage de n'avoir pas à porter le poids de la sexualité de mon mari. Et j'aime l'idée qu'il ne m'appartienne pas, que nous gardions une part de mystère. En revanche, je serai toujours là pour lui. »
Pour elle, « face au désir extraconjugal, banal, il y a les duos qui, prévoyants, s'organisent, et ceux qui ne le font pas. Soit ils résistent héroïquement à la tentation et ce n'est pas toujours facile ; soit ils passent quand même à l'acte, en acceptant de gâter leur aventure par une certaine culpabilité, ce qui n'est pas facile non plus ». Et de déplorer « l'absence de modèles positifs sur l'infidélité qui permettraient de vivre l'absence d'exclusivité de manière joyeuse et décomplexée, sans drame4 . » Au vu de la demande, l'édition s'adapte (5), et les comptes Instagram ou les podcasts explorant la variété des relations amoureuses fleurissent sur la Toile (6) … La fidélité deviendrait-elle une norme aux contours de plus en plus flous ?
« On revient à la question de la limite, et, pour tous les couples que j'ai pu recevoir, elle est on ne peut plus claire, remarque Ginevra Uguccioni. Si l'infidélité sexuelle est plus ou moins bien tolérée, l'infidélité affective reste taboue, y compris en polyamour, où l'attachement privilégié à un partenaire est de mise. En effet, il est très diffcile de contrôler nos émotions et la nature de nos attachements, de cloisonner amour et sexualité. Même si le couple est stable, très communicant, respectueux des désirs et des besoins de chacun, il y a toujours un risque à sortir des clous. » A bon entendeur…