Près de dix ans après les attentats de janvier 2015, le rôle du jihadiste Peter Cherif enfin examiné lors d'un procès

le 16/09/2024 à 12:04

Temps de lecture : 7 min

Peter Cherif lors de son audition comme témoin en visioconférence au procès des attentats de janvier 2015, le 23 octobre 2020. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Peter Cherif lors de son audition comme témoin en visioconférence au procès des attentats de janvier 2015, le 23 octobre 2020. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCENEWS)

C'est un troisième procès qui s'ouvre pour les attentats de janvier 2015. Près de dix ans après les 17 assassinats perpétrés par les frères Saïd et Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly à la rédaction de Charlie Hebdo, à Montrouge et à l'Hyper Cacher, un nouvel accusé comparaît devant la justice. Le jihadiste Peter Cherif, 42 ans, est jugé à partir du lundi 16 septembre devant la cour d'assises spéciale de Paris. Renvoyé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, il est notamment soupçonné d'avoir joué un rôle auprès de Chérif Kouachi depuis le Yémen, où il a œuvré pour Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) entre 2011 et 2018.

Arrêté en décembre 2018 à Djibouti, Peter Cherif était la pièce manquante du premier procès, qui s'était soldé par les condamnations des 11 accusés présents, dont Ali Riza Polat, renvoyé pour complicité de crimes terroristes – ce dernier a écopé de trente ans de réclusion en appel. Peter Cherif, alors mis en examen et en détention provisoire, avait tout de même été entendu comme témoin en visioconférence depuis la prison de Fresnes. Après avoir récité un verset du Coran et fait des déclarations d'ordre religieux, il avait refusé de répondre aux questions de la cour, assurant n'avoir "rien à voir" avec ces attaques.

"On m'a forcé à venir ici pour une affaire à laquelle je n'ai rien à voir, je ne répondrai à aucune question."

Peter Cherif, témoin, lors du premier procès des attentats de janvier 2015

Sera-t-il plus enclin à parler lors de son propre procès ? "Nous l'ignorons", relève une source judiciaire auprès de franceinfo. Lors de son arrestation en 2018, Peter Cherif s'était dit "dans une dynamique de coopération totale pour donner des éléments permettant de sauver des vies humaines". Mais dans leur ordonnance de renvoi, les juges d'instruction antiterroristes notent qu'il a depuis largement exercé son droit au silence lors de ses interrogatoires et "n'a donné aucune information" sur Aqpa. Il conteste également avoir participé à la séquestration pendant six mois, à partir de mai 2011 au Yémen, de trois Français membres de l'ONG Triangle génération humanitaire. Ces derniers ont décrit un geôlier parlant français et aux caractéristiques physiques pouvant correspondre à Peter Cherif. Il sera également jugé pour ces faits.

Charlie Hebdo : Peter Cherif, l'un des derniers témoins de la préparation de l'attentat, livrera-t-il ses secrets ? Alors qu'il encourt la perpétuité pour son implication présumée dans l'attentat qui a décimé la rédaction de "Charlie Hebdo" en 2015, le djihadiste français Peter Cherif sévertue à nier son implication. Pour les experts, son parcours le contredit.

"Un précipité du jihadisme français"

Egalement connu sous le pseudonyme d'Abou Hamza, Peter Cherif est une figure du jihadisme international. Il apparaît au début des années 2000 dans le répertoire des terroristes recherchés par les Américains, qui l'arrêtent en 2004 alors qu'il combat à Falloujah, en Irak. Ce pays le condamne deux ans plus tard à quinze ans de prison, mais Peter Cherif s'échappe en 2007 pour la Syrie. Il en est expulsé début 2008 et transféré en France.  

Quand bien même l'accusé n'apporterait pas ses propres réponses, "ce procès a un intérêt, car Peter Cherif est un personnage intéressant, c'est un précipité du jihadisme français", estime auprès de franceinfo Antoine Casubolo-Ferro, avocat de l'Association française des victimes du terrorisme ainsi que de Michel Catalano et Lilian Lepère, pris en otage par les frères Kouachi dans l'imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne). Ses clients ont une "question lancinante" : comment se fait-il que début 2011, Peter Cherif ait effectué un stage de conduite dans une auto-école à Dammartin, "à 500 mètres" de l'imprimerie où se sont réfugiés les frères Kouachi dans leur cavale ?

A cette époque, il comparaît libre dans le procès d'une filière d'acheminement de combattants vers l'Irak, la filière dite des Buttes-Chaumont. Mais juste avant sa condamnation à cinq ans de prison, il décide de prendre la fuite pour le Yémen, via la Tunisie et Oman. 

Un rôle d'intermédiaire au cœur du dossier

Peu de temps après son arrivée au Yémen, Peter Cherif reçoit la visite, à l'été 2011, de deux autres jihadistes français, Chérif Kouachi, un ami d'enfance, et Salim Benghalem, mort en 2017 en Syrie. Les juges estiment qu'il a "facilité l'intégration" au sein d'Aqpa du coauteur de l'attentat de Charlie Hebdo en lui présentant Anwar al-Aulaqi, un prédicateur radical américano-yéménite, haut responsable de l'organisation terroriste. Selon l'accusation, Peter Cherif avait ainsi "connaissance" de "la mission" de perpétrer un attentat en France confiée à Chérif Kouachi. L'intéressé aurait en outre "maintenu des contacts" avec son ami lors de son retour en France, ce qui "confirme", pour les juges, "la connaissance qu'avait Peter Cherif de la mission confiée" au cadet des frères Kouachi.

Peter Chérif ne sera toutefois pas jugé pour complicité, car "il n'a pu être démontré qu'il a directement assisté Chérif Kouachi dans la commission de l'attentat du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo", explique une source judiciaire à franceinfo. Mais "il est à tout le moins établi qu'il a participé à une entente avec ce dernier en vue de faciliter son intégration dans l'organisation terroriste Aqpa, qui allait lui permettre d'être formé, adoubé et missionné pour son projet criminel", et que Peter Cherif, "au titre de ses responsabilités au sein d'Al-Qaïda", "participait à la définition et la diffusion de la propagande, visant notamment Charlie Hebdo", poursuit cette même source.

Des accusations rejetées par Peter Cherif. Tout au long de l'information judiciaire, il s'est borné à affirmer que Chérif Kouachi et Salim Benghalem lui avaient dit "qu'ils allaient ressortir" du Yémen pour "un travail à l'extérieur", sans précision. "Je n'étais pas au courant. Je l'ai dit mille fois aux policiers", a-t-il déclaré lors d'un interrogatoire en juin 2021. Contactés par franceinfo, ses avocats, Ouadie Elhamamouchi et Sefen Guez Guez, n'ont pas donné suite.

En prison, il "dort à même le sol"

Si les débats ne porteront pas que sur les attentats de 2015 mais aussi sur ses activités au sein d'Aqpa et sur la séquestration des otages, les parties civiles "attendent toujours", dix ans après, "des explications", selon Antoine Casubolo-Ferro. "De toute façon, la justice passera et ça, c'est nécessaire", ajoute-t-il. "Ce procès est important pour moi, car il y a ce rattachement au pays de mon enfance, Djibouti", témoigne pour sa part Sigolène Vinson, chroniqueuse à Charlie Hebdo, épargnée lors de la tuerie au sein de la rédaction, et qui s'est retrouvé "par hasard" dans l'avion qui a ramené Peter Cherif en France fin 2018. Elle espère avoir des réponses sur un terrain plus idéologique. 

"Dans les deux premiers procès, c'était très technique, il était très peu question d'idéologie. Qu'est-ce qu'il y a derrière ces attentats, c'est toujours ça qui me manque, cette question fondamentale."

Sigolène Vinson, chroniqueuse à "Charlie Hebdo"

à francenews

S'agissant du délai entre les faits et ce procès, le Parquet national antiterroriste rappelle à franceinfo que cinq ans se sont déroulés depuis l'arrestation de Peter Cherif : "C'est le seul Français identifié au sein d'Aqpa Yemen, les faits à caractère terroriste qui lui sont reprochés sont multiples et concernent une période de prévention de près de huit ans, entraînant de longues investigations."

Les rapports pénitentiaires laissent entrevoir son attitude au procès. Dans leur ordonnance de renvoi, les juges soulignent que les sons captés par des micros dans sa cellule "tendent à démontrer" qu'il continue à adhérer aux thèses jihadistes. Incarcéré un temps, fin 2020, aux côtés de Mohamed Abrini, l'"homme au chapeau" de l'attentat de l'aéroport de Bruxelles de mars 2016, Peter Cherif lui a lancé qu'il était "l'ambassadeur du Prophète". Selon un rapport pénitentiaire en date du mois d'août et consulté par franceinfo, ce détenu "dort à même le sol et a refusé le téléviseur" dans sa cellule de la prison de Toulon-La Farlède (Var), où il est désormais incarcéré. Il a repris "deux parcours universitaires" à distance et refuse de voir ses deux enfants depuis plusieurs mois car "selon ses dires, la justice française donne de lui une image néfaste pouvant nuire à leur épanouissement". Peter Cherif encourt la prison à perpétuité.

Date de dernière mise à jour : 16/09/2024

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