Trois ans après sa mise en œuvre dans les établissements scolaires, la circulaire Blanquer est-elle bénéfique aux jeunes trans ? Le sociologue Arnaud Alessandrin a récolté des témoignages d'élèves et de parents concernés, et nous livre les premiers résultats de son enquête.
En 2021, après quelque temps d'hésitation et de bricolage, l'Éducation nationale se dotait enfin d'un texte encadrant l'accueil des élèves trans. Cette circulaire Blanquer, du nom du ministre alors en poste, offre un cadre clair et attendu par la communauté éducative mais ne satisfaisait qu'en partie les associations LGBTQI+. Trois ans après sa publication, le sociologue Arnaud Alessandrin a voulu mesurer son impact et a recueilli à cet effet 124 témoignages directs (d'élèves trans) ou indirects (de parents ou de proviseurs).
Les résultats sont enthousiasmants : 78 % des personnes interrogées considèrent que la circulaire a apporté une réelle amélioration. "Comme tout le lycée se met en mouvement autour de leur accueil, des jeunes expliquent que c'est très facilitant", rapporte Arnaud Alessandrin. Du côté des parents, elle permet aussi de rassurer : "Ce n'est plus au petit bonheur la chance. Les parents ont moins d'appréhension car ils savent qu'ils peuvent s'appuyer sur un texte et qu'ils ont le droit de le faire. Ça dépassionne des situations."
Un mode d'emploi pour les profs
Ce que confirme Sonia Becquet, du collectif Nos Enfants trans : "En tant que parents, on devient très pédagogues, car on est très informés et on connaît nos droits. De ce point de vue, la circulaire Blanquer est un super outil." Pour la militante, si la circulaire est bien comprise dans les collèges et lycées, son application en primaire est plus compliquée : "Cela crée beaucoup d'incompréhension. Il y a toujours l'idée qu'il faut l'intervention du médecin scolaire, que l'enfant doit voir le psychologue. Sauf que la circulaire n'impose pas l'intervention d'un médecin dans le processus."
Du côté des professionnels, la circulaire vient d'abord renforcer les bonnes pratiques déjà à l'œuvre, note Arnaud Alessandrin : "Avant, certains pouvaient parfois avoir de bonnes intentions, comme changer le prénom d'un élève sur Pronote [le logiciel de gestion des notes et des appréciations, ndlr], mais se retrouvaient isolés au sein de leur établissement." Le texte insiste notamment sur le fait qu'en cas de changement de prénom, celui-ci doit être utilisé par l'ensemble des élèves et du personnel éducatif – ce qui peut parfois demander un certain temps à mettre en place.
Mika Alison, enseignante et autrice de Vivre sa transidentité à l’école (Double Ponctuation), rappelle au passage le principe de confidentialité établi dans la circulaire : "Cela indique qu'on ne peut pas faire n'importe quoi et qu'il y a une manière d'accompagner un élève trans. En formation, certaines personnes sont surprises d'apprendre que quand on reçoit la parole d'un élève à ce sujet, on ne peut pas divulguer cette information et en parler aux parents sans avoir son autorisation expresse. La circulaire préserve le droit à la vie privée de l'élève." Le texte donne également au corps enseignant des modes d'emploi pour gérer les questions liées aux toilettes, aux voyages scolaires, ou encore la mise en place de campagnes de lutte contre les LGBTphobies.
Un outil de dialogue avec les parents
Mais on n'efface évidemment pas en quelques pages la transphobie. Quelque 20% des témoignages recueillis par Arnaud Alessandrin rapportent ainsi des problèmes soulevés par l'application de la circulaire, qui prévoit par exemple – c'était le principal reproche fait au texte – que l'utilisation par la communauté éducative d'un prénom autre que celui de l'état civil soit soumise à l'autorisation des deux parents. Que faire si ces derniers s'opposent quant à la reconnaissance de la transidentité de leur enfant ? Sonia Becquet a pu observer que cette obligation du double accord parental peut s'avérer dévastatrice dans un contexte de séparation : "Dans des cas où face à une mère soutenante, le père est dans un refus de la transidentité, la circulaire va donner à ce dernier beaucoup de pouvoir."
"Les établissements ont intégré que c'est un préalable d'avoir le soutien de la famille dans la démarche", observe néanmoins Mika Alison. Et de rappeler que de toute façon, "une mauvaise réaction de la famille ne s'arrête pas aux portes de l'école". Il importe donc, souligne-t-elle, d'instaurer un dialogue avec la famille réfractaire, pour lequel le texte fournit un appui : "La circulaire encourage la mise en place d'un dialogue avec les parents, qui peut aboutir au final à une acceptation globale de la situation. J'ai l'exemple d'une médiation pendant toute une année scolaire avec un élève en déscolarisation, qui a permis de changer la donne auprès d'une famille bloquée et de ramener la confiance pour un retour à l'école."
Le lobby réac en embuscade
Dès sa rédaction, la circulaire Blanquer s'est retrouvée sous le feu nourri des associations proches de La Manif pour tous, comme SOS Éducation et Juristes pour l'enfance. Le 29 décembre 2023, le Conseil d'État a rejeté deux requêtes en annulation qu'elles avaient déposées. Les mêmes se mobilisent aujourd'hui contre le principe d'une éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). Elles semblaient récemment avoir obtenu une victoire contre l'accueil des élèves trans lorsque le ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l'Enseignement professionnel, Alexandre Portier (désormais démissionnaire), a déclaré fin novembre au Sénat qu'il s'engageait "personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles". Fort heureusement, il s'était fait recadrer par sa ministre de tutelle.
Si la situation en France n'a pas basculé comme au Royaume-Uni, où l'interdiction des bloqueurs de puberté vient d'être rendue permanente, elle reste préoccupante car les effets de la propagande du lobby réac peuvent être très insidieux, souligne Sonia Becquet : "Il y a tellement de désinformation autour de la transidentité que certaines équipes enseignantes, certaines académies, ont peur que ça se passe mal et tentent de s'entourer d'un arsenal de garde-fous pour éviter de se faire taper sur les doigts, quand elles ne préfèrent pas tout simplement laisser pourrir la situation…" Et un revirement politique reste toujours à craindre, comme l'ont montré cette année les propos ironiques d'Emmanuel Macron sur le fait d'"aller changer de sexe en mairie", ainsi que le vote en mai au Sénat d'une proposition de loi sur les transitions de genre chez les mineurs qui ciblait très directement la circulaire Blanquer. Remettre en cause cette dernière serait "terrible", s'inquièteMika Alison, rappelant les circonstances dramatiques qui ont mené à sa publication : le suicide, à Lille en décembre 2020, d'une lycéenne trans.