Pourquoi Hippocrate est toujours la meilleure série française (et la plus flippante)

le 15/11/2024 à 18:16

Hippocrate" : la saison 3 de la série médicale diffusée dès le 11 novembre  sur Canal+

On a cru qu'ils ne reviendraient jamais. Au temps du streaming et de l'industrialisation de la production télévisuelle, trois années d'absence sans nouvelles pour une série sont devenues un mauvais indicateur, le signe d'un impossible retour. Après deux saisons de haute volée, parfait concentré de tension bruyante et d'humanisme fragile, Hippocrate et son créateur Thomas Lilti se sont fait attendre, moins pour créer l'envie que pour reprendre précisément la température de ces dernières années dans l'hôpital français.

Déjà pas dans un état radieux au moment du lancement de la série en 2018 sur Canal+, la crise du Covid a fait l'effet d'une gangrène se répandant sur tout le corps médical, toujours plus dépouillé de moyens financiers et humains. Son temps est compté avant que le système et ses plus fidèles membres ne s'effondrent. Plus resserrée, aussi bien dans la forme (six épisodes contre huit pour les deux premières saisons) que dans sa temporalité et le décor de la série (on ne sort pratiquement plus des murs de l'hôpital), Hippocrate saison 3 pousse ses personnages un peu plus au bord du gouffre et leur impuissance à contenir le désastre à venir.

La série reprend alors que les effets de la crise du Covid-19 commencent lentement à s'effacer. Les médecins sont à bout, au point où l'Hôpital Raymond-Poincaré, là où se situe Hippocrate depuis ses débuts, décide de ralentir son rythme le temps d'un été pour que chaque service ait le temps de se ressourcer avant la rentrée. Certains services ont fermé leurs portes, ceux qui sont restés saturent face aux appels à l'aide. Au lendemain d'une agression subie par un médecin (jouée par Alice Belaïdi) lors d'une intervention houleuse dans une cité, SOS Médecins se met en grève et le chaos s'installe à Poincaré. Les patients affluent, la situation devient hors de contrôle, poussant les quelques médecins sur place à prendre des mesures que leur hiérarchie désapprouvera forcément.

Ceux qui ont déjà vu les deux premières saisons d'Hippocrate connaissent l'atmosphère anxieuse et tendue qui y règne. Enchaînant les scènes de dialogues houleux, les oppositions entre hiérarchies ou chefs de service, la série a pris pour habitude de montrer l'hôpital comme un champ de bataille où chacun doit prendre des décisions dans l'urgence du moment, s'abstenant parfois des principes les plus élémentaires de son métier. Dans cette troisième saison, Poincaré se change en un lieu de résistance et de désobéissance où les médecins luttent à faire respecter le serment qu'ils ont prêté au début de leur carrière. Se mesurant à une logistique contraignante, avec des patients triés sur le volet en fonction de la gravité de leurs symptômes, les médecins entament une rébellion contre l'institution en montant, notamment, un hôpital de fortune où certains patients recalés à l'entrée se trouvent recueillis. Les médecins se refusent à perpétrer le tri que certains craignaient devoir faire en temps de Covid et se mettent en tête d'en secourir le maximum, au prix de certains sacrifices, physiques ou mentaux.

Lors de certains épisodes, les crises s'accumulent tant qu'on a l'impression de basculer dans une série d'horreur où les murs de Poincaré seraient ceux d'un manoir hanté où les médecins seraient dans une sorte de cauchemar perpétuel dont ils ne peuvent s'extirper. Déjà dans la deuxième saison, la série avait réussi à s'aventurer vers des voies plus “paranormales” ou du moins plus anxiogènes (souvenir d'un incroyable épisode dans la deuxième saison à bord d'un caisson hyperbare qui donnait à la série des airs d'Alien). Là encore dans cette troisième saison, sans trop en dévoiler, Hippocrate s'offre un sommet de tension autour du personnage campé par Karim Leklou — qui confirme, après Le Roman de Jim cet été, qu'il est vraiment l'un des acteurs français les plus précieux actuellement — qui rend son visionnage aussi suffocant que réjouissant pour une série française.

Assumant davantage sa part de fiction, ces six nouveaux épisodes d'Hippocrate n'en délaissent pas pour autant la description du quotidien de ses médecins et approfondit encore davantage le récit de ses personnages, leur ajoutant des liens familiaux ou sentimentaux (William Lebghil en ophtalmo angoissé) jusqu'alors laissés de côté par la série. Dans l'hôpital, cohabitent désormais les angoisses du travail et du foyer. Leurs discussions se bousculent, s'emmêlent et s'enveniment le plus souvent. C'est toute la force de la série de ne pas faire de son décor qu'un signe d'appartenance à un genre télévisuel mais aussi un personnage à part entière qui lie les autres protagonistes entre eux autant qu'il les aliène, transformant la valeur sacerdotale de leur métier en un piège se renfermant sur eux inexorablement.

Ultime cri d'alerte d'un système hospitalier en décrépitude, la saison 3 d'Hippocrate prouve que la création de Thomas Lilti constitue désormais, derrière sa forme conventionnelle de série médicale, un mètre-étalon de la production télévisuelle française, mariant merveilleusement bien des intrigues de fiction à des enjeux de société. Vacillant entre résignation et esprit de révolte, la série donne concrètement à voir le combat du personnel soignant et comment sa lutte pour la reconnaissance de son engagement concerne absolument tout le monde dans la société aujourd'hui. Hippocrate reste donc une excellente série médicale, mais aussi bien plus que cela.

La troisième saison d'Hippocrate est actuellement diffusée sur Canal+ et MyCanal, au rythme d'un épisode par semaine tous les lundis. Les deux premières saisons sont à découvrir sur MyCanal.

Date de dernière mise à jour : 15/11/2024

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