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Les locaux de Paris 2024, désormais installés dans le 18e arrondissement, le 20 décembre 2024.
Il ne fallait pas qu'on les voie : raté. Trois bouteilles de vin vides forment un début de pyramide au pied de la grande Phryge en carton. Comme le paquet de chips entamé, elles sont les vestiges d'un pot de départ – un de plus – organisé la veille dans les bureaux de Paris 2024 au cœur de la capitale. En ce soir de fin décembre, l'équipe des ressources humaines vient encore de perdre des collaborateurs. "Vous allez laisser un grand vide", leur a répété leur boss, Clémentine Ducrocq, en laissant couler quelques larmes. "J'avais prévenu tout le monde que la fin des Jeux, c'était comme une rupture, un deuil. Eh bien, là, c'est moi qui ai pleuré, et plusieurs fois", confie, encore émue, la responsable RH de l'événement.
Six mois après la fin des Jeux olympiques et paralympiques, le comité d'organisation de Paris 2024 bouge encore, mais il n'est que l'ombre de lui-même. Ils ne sont désormais plus que 64 à badger au portique d'entrée le matin.
"Au pic de l'événement, on comptait 4 200 salariés. Mais entre août et septembre, 3 600 contrats se sont terminés. C'est assez vertigineux."
Clémentine Ducrocq, responsable RH du comité d'organisation
"La nature du projet a changé. Là, on est sur de l'administration pure d'un plan de départ", poursuit-elle. Même le grand patron n'est plus patron : la mission de Tony Estanguet s'est terminée officiellement le 31 décembre. Etienne Thobois, le numéro 2, a lui aussi vidé son bureau. Tout comme Edouard Donnelly, le directeur des opérations.
"C'est une petite mort"
Tout a été réduit. Le personnel, les emplois du temps et puis le lieu. Mi-octobre, le siège de Paris 2024 a déménagé dans un espace de coworking de la rue Championnet, dans le 18e arrondissement de la capitale. Finis les 30 000 m2 de bureaux vitrés de l'immeuble Pulse à Saint-Denis. Le logo de 5 mètres par 5 mètres suspendu dans le hall a aussi été remballé. Désormais, la porte vitrée bâille sur un accueil on ne peut plus classique. "Les gens des JO ? Dernier étage", indique la dame de la réception, sans prêter davantage attention.
Gaspard Citroën, 25 ans, chargé de mission à la direction générale pour encore deux petits mois, résume ses tâches : "On range, on archive, on jette."
"Niveau ambiance, on est entre le destockage et la dissolution."
Gaspard Citroën, chargé de mission pour Paris 2024
Devant lui, un mur de cartons empilés sur plusieurs niveaux. Sur certains, il y a le nom de collaborateurs. Sur d'autres, c'est écrit "TRESO", "COMPTA" ou "PV". Quelqu'un a même déjà emballé les unes de L'Equipe dans du papier bulle. Dans toute la paperasse, des reliques témoignent du temps qui passe. Au dos d'un document marqué "confidentiel", on distingue les photos des médailles qui allaient alors être révélées au public. Sa date : novembre 2023.

Un employé de Paris 2024 travaille derrière une pile de cartons, le 20 décembre 2024.
La vie grouillante appartient au passé. Plus grand monde pour s'asseoir dans la salle de réunion. Plus aucune portière ne claque devant les locaux. Parce que plus personne ne vient. Ni les ministres, ni le préfet, ni les sportifs. Aucune télévision ne zèbre la nuit. Et les téléphones sonnent moins. "Je suis passé d'une course permanente avec une centaine de sollicitations par jour à presque rien. Il faut l'accepter, on intéresse moins, on n'est plus au cœur de l'actualité, admet un salarié, les yeux embués. C'est comme ça. Voilà." L'un de ses collègues qui a travaillé sur les JO de Londres en 2012 l'avait prévenu : "Fais gaffe, l'après Jeux c'est chaud, c'est une petite mort'." "Il avait tellement raison..." confie-t-il.
"On doit s'occuper autrement"
Lui qui ne "voyait pas le jour" se surprend désormais à avoir du temps. "Oh oui, les journées sont bien plus calmes", euphémise Laurent Michaud, le grand directeur du village de Paris 2024. "Maintenant que les 380 000 pièces du village ont été débarrassées, c'est vrai qu'on doit s'occuper autrement." Ses missions, désormais, sentent aussi la fin : "pondre les rapports d'activité, clore les contrats de mise à disposition avec les promoteurs..." Au même moment, à l'étage du dessous, deux silhouettes transvasent des ordinateurs dans des chariots.

Des employés démontent le mobilier dans les locaux de Paris 2024, le 20 décembre 2024.
Même leurs proches s'étonnent de les savoir encore sous contrat. "Le lendemain de la clôture des Jeux paralympiques, le 10 septembre, ma famille me demandait ce que j'allais faire maintenant..." rit jaune Laurent Michaud. L'autre jour, un ami de Gaspard Citroën lui a encore demandé, l'air étonné : "Attends, mais tu travailles encore pour les JO ? Mais pour quoi faire ?" "Ça arrive tout le temps. Même si tu ne le veux pas, c'est difficile de ne pas voir que ça sent la fin, cette affaire..."
"Certains ne sont pas encore à l'état de nostalgie positive"
Avec un peu de chance, vous pouvez tout de même entendre Parade, l'hymne des Jeux. "Je mets la musique dans toutes mes présentations bilans", plaisante un employé. Un frisson traverse l'open space. Entre deux rares réunions, Gaspard Citroën re-re-re-regarde les images de l'arrivée du cycliste belge Remco Evenepoel, "debout derrière son vélo", "les bras au ciel comme un gladiateur romain, avec la tour Eiffel derrière". Mais il y a une règle tacite. Par pudeur, personne ne met à tue-tête des replays des épreuves. "Pour certains, c'est encore douloureux, ils n'en sont pas encore à l'état de nostalgie positive", raconte un salarié qui vient de changer son fond d'écran : la vasque olympique a remplacé la Phryge.
Les costumes de Phryges, justement, sont eux aussi au chômage technique. Dégonflés, démontés, pliés, cartonnés. Quelques collectionneurs ont bien sollicité le comité d'organisation, prêts à aligner les billets, pour les récupérer. Selon nos informations, deux exemplaires ont été envoyées aux Etats-Unis à l'équipe de Los Angeles 2028. Deux autres ont atterri il y a quelques jours au Musée olympique de Lausanne et au Musée national du sport à Nice, à chaque fois sous forme de don.
Le Comité national olympique et sportif français a aussi eu droit à un cadeau, tout comme le Comité paralympique et sportif français. Franceinfo a également appris que le département de Seine-Saint-Denis avait déboursé 6 500 euros pour en obtenir deux. Elles sortiront du placard le 1er février prochain, à l'occasion de l'inauguration d'un équipement sportif, le Prisme, à Bobigny.
Les téléphones des salariés de Paris 2024 vibrent. Un nouveau message : "Pot de départ demain !" Fin juin, ils ne seront plus que douze au moment de fermer définitivement la boutique.