ENQUETE: Sur la trace des frères Abdeslam

le 22/11/15 à 14:23

 

Impliqués dans les attentats de Paris, Salah et Brahim Abdeslam ont grandi à Bruxelles, où leurs proches font part de leur stupéfaction.

Les deux frères Brahim Abdeslam (à gauche) et Salah Abdeslam (à droite), impliqués dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis.
Les deux frères Brahim Abdeslam (à gauche) et Salah Abdeslam (à droite), impliqués dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis.

 

Des briques rouges, des enseignes de bière belge, quelques tables sur le trottoir les jours de beau temps. En apparence, Les Béguines avaient tout d'un café ordinaire. A l'intérieur, une configuration modeste, cinq ou six tables, et un comptoir dans le fond. A l'image de ce quartier résidentiel et populaire de Molenbeek, dans l'ouest de Bruxelles, la clientèle était majoritairement jeune et d'origine maghrébine. On y servait de l'alcool, mais les débordements étaient rares. 

Aux yeux des riverains, ce commerce était un mystère. "Il était ouvert une fois, fermé une autre, il ne correspondait pas vraiment à un bar normal", glisse le patron de la société de taxis voisine. "Je voyais bien un manège de voitures, avec des gens qui s'arrêtaient, qui rentraient et qui repartaient", note une vieille dame du quartier. Le patron se faisait discret. Au gré des nombreux changements de propriétaire, les habitants avaient renoncé à l'identifier.

Depuis le 10 mars 2013, le tenancier, c'était Brahim Abdeslam. Il était épaulé, depuis décembre 2013, par son frère Salah, dans le rôle de gérant. Deux noms inconnus des voisins interrogés par francetv info, jusqu'à ce qu'ils soient associés aux terroristes impliqués dans les attentats du 13 novembre à Paris. L'un s'est faitexploser au Comptoir Voltaire, l'autre est activement recherché par les polices européennes.

 

Le bar Les Béguines, le 16 novembre 2015, à Bruxelles (Belgique).
Le bar Les Béguines, le 16 novembre 2015, à Bruxelles (Belgique).

Faut-il y voir un signe ? Neuf jours avant le carnage, Les Béguines avaient fait l'objet d'une fermeture administrative pour cinq mois. "Le commerce est utilisé pour la consommation de substance hallucinogènes prohibées", peut-on lire sur le document placardé sur la porte du 49, rue des Béguines. La décision a été prise après la découverte par la police, en août, de "joints partiellement consommés"dans les cendriers, ainsi que de stupéfiants dans les poches des clients.

Invité à s'expliquer, Salah Abdeslam n'a jamais donné suite. Les deux frères ont préféré vendre l'établissement discrètement, dès le 30 septembre. Depuis la fermeture administrative, "il y a moins de jeunes" dans la rue, assure un voisin. "C'est très calme", confirme un autre. Forcément, plus aucune trace des deux frères Abdeslam. Il faut se diriger vers le cœur de Molenbeek, à 20 minutes de marche de là, pour remonter le fil de leur parcours.

Des filles, du foot et des joints

Sur les documents de la vente du café, Salah, 26 ans, et Brahim, 31 ans, sont domiciliés chez leurs parents, dans un vaste appartement social de la place communale. L'endroit, situé face à l'hôtel de ville, n'a rien d'une planque : la place accueille, chaque jeudi et dimanche, les marchés hebdomadaires de Molenbeek. Les deux frères s'y trouvaient encore quelques jours avant les attaques, au vu et au su de tous. 

Salah est "le genre de jeunes qui vous aident à porter vos courses et vous les ramènent chez vous", à en croire un animateur du quartier, Fouad Ben Abdelkader. "Il disait bonjour, était très timide et gentil", ajoute le président d'un centre de jeunes, Moustafa Zoufri. Les amis de Salah décrivent un "mec à meufs, mignon, beau gosse" et un quotidien de bon vivant, entre matchs de Ligue des champions, sorties en boîte et cannabis, avec approvisionnement aux Pays-Bas. Et peu de place accordée à la religion.

Plus âgé, Brahim s'était marié en 2006. Un mariage civil et non religieux, marqué par une séparation deux ans plus tard, et un divorce conclu en 2013. Son ex-épouse affirme au Daily Mail (en anglais) que ses activités de prédilection étaient de "fumer des joints et dormir". Malgré une formation d'électricien, Brahim a longtemps été au chômage. Il passait ses journées à regarder des DVD et à écouter de la musique, et préférait le cannabis et la bière aux mosquées. L'un de ses proches se souvient de parties de cartes aux Béguines et de sa voix "à la Sylvester Stallone".

 

Jour de marché devant l'hôtel de ville, sur la place communale de Molenbeek, le 15 novembre 2015.
Jour de marché devant l'hôtel de ville, sur la place communale de Molenbeek, le 15 novembre 2015.

 

A Molenbeek, la famille Faklan-Abdeslam, leur nom complet, est bien connue des élus. "C'est une vieille famille de la commune, installée ici depuis les années 1960,indique Ahmed El-Khannouss, premier adjoint au maire. Ils sont originaires du Maroc et ont vécu en Algérie française, d'où leur nationalité française." Le père, conducteur retraité des transports en commun de la ville, et la mère, femme au foyer, affichent un profil sans histoire. Lui serait "très gentil et très souriant", elle "pas vraiment lettrée mais adorable, une maman gâteau".

Le troisième frère, Mohamed, marié et père de famille, brièvement interrogé par la police, est employé communal à Molenbeek. "Il a travaillé à mon secrétariat dans les dernières années de mon mandat et exerce désormais un emploi au service population-étrangers, précise l'ancien maire Philippe Moureaux (1992-2012). C'est un garçon affable, joyeux."

La famille, également composée d'une sœur, vit sur la place communale depuis 1998. Cause du déménagement à l'époque : Brahim, âgé de 14 ans, a mis le feu au précédent logement, selon la presse belge. Une première ombre au tableau, qui en connaîtra d'autres. Là où Mohamed évoque "une famille ouverte qui n'a jamais eu de problème avec la justice", les archives pénales révèlent le contraire.

Quelques mois en prison

Le nom de Brahim Abdeslam apparaît sur les registres du parquet fédéral belge en 2005, dans une affaire de vol, sanctionnée par une peine de travail, puis en 2010, dans une affaire de faux en écriture et escroquerie, dans laquelle il est reconnu coupable mais n'écope d'aucune peine. Il passe deux mois en prison, en 2003, en détention préventive, selon son avocat de l'époque, Olivier Martins. En 2012, il se fait aussi remarquer en menaçant un élu dans une affaire de logement social.

En revanche, jusqu'en février 2011, aucune trace de Salah Abdeslam dans les dossiers fédéraux. Il a alors 21 ans et vient d'être licencié de la Société des transports intercommunaux de Bruxelles, là où travaille son père et où il a été recruté en septembre 2009, en tant que simple technicien. Au dépôt de tram d'Ixelles, on se souvient surtout de ses absences, très nombreuses, qui lui ont coûté son poste. "Il faisait déjà des voyages entre Bruxelles et Paris car, un jour d'absence, on l'a appelé, et il nous a dit qu'il était à Paris", assure un employé.

La raison des absences de Salah au travail se trouve en partie dans son casier pénal. Fin 2010, il est envoyé en détention préventive pour vol avec effraction, avant d'être condamné à une peine d'un an de prison avec sursis en février 2011. Derrière les murs, il retrouve une figure de son quartier, Abdelhamid Abaaoud, qui rejoindra le groupe Etat islamique en Syrie en 2013, avant de devenir le commanditaire présumé des attentats du 13 novembre.

 

Abdelhamid Abaaoud dans l'édition de février 2015 du magazine en ligne du groupe Etat islamique.
Abdelhamid Abaaoud dans l'édition de février 2015 du magazine en ligne du groupe Etat islamique.

 

Brahim et Salah Abdeslam ont-ils tenté de rejoindre Abdelhamid Abaaoud, devenu "Omar le Belge", en Syrie ? C'est probable, même si rien ne prouve, pour le moment, qu'ils y sont parvenus, selon les informations livrées par le parquet fédéral belge. L'aîné, Brahim, a été refoulé en Turquie, en janvier dernier, alors qu'il se dirigeait vers le territoire syrien. Il est rentré en Belgique en février. "On savait que Brahim était plus radical dans ses idées", glisse un membre de sa famille à La Libre Belgique.

Son frère Salah a, lui, été repéré en Grèce, en août. Il "s'était mis dans la religion depuis deux ans", avance l'un de ses amis. Les deux frères figuraient même sur une liste de 800 noms suivis par les autorités belges pour leurs liens avec les combattants en Syrie. A défaut peut-être de se rendre au Proche-Orient, Brahim et Salah Abdeslam ont pris la route de Paris et ont participé à l'attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire de France.

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